Il revient tous les ans et change de nom à la faveur des réformes : notation, entretien d’évaluation, entretien professionnel.

Il est présenté comme un acte clé de management et un lieu d’échanges privilégié entre agents et responsables mais est néanmoins souvent vécu comme une contrainte par les uns et par les autres, « un exercice chronophage » qui « ne sert pas à grand-chose » comme j’ai pu l’entendre plusieurs fois au cours des formations que j’ai animées sur ce sujet.

Alors quelles sont les finalités de l’entretien professionnel et les évolutions souhaitées sont-elles effectives ?

Les finalités de l’entretien professionnel

L’entretien professionnel est régi dans la fonction publique territoriale par le décret n° 2014-1526 du 16 décembre 2014 (voir précédent article sur le cadre juridique de l’entretien professionnel*).

Les dispositions du décret du 16 décembre 2014

L’article 3 de ce décret définit le contenu de l’entretien professionnel et indique qu’il porte principalement sur les points suivants :

  • Les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire eu égard aux objectifs qui lui ont été assignés et aux conditions d’organisation et de fonctionnement du service dont il relève ;
  • Les objectifs assignés au fonctionnaire pour l’année à venir et les perspectives d’amélioration de ses résultats professionnels, compte tenu, le cas échéant, des évolutions prévisibles en matière d’organisation et de fonctionnement du service ;
  • La manière de servir du fonctionnaire ;
  • Les acquis de son expérience professionnelle ;
  • Le cas échéant, ses capacités d’encadrement ;
  • Les besoins de formation du fonctionnaire eu égard, notamment, aux missions qui lui sont imparties, aux compétences qu’il doit acquérir et à son projet professionnel ainsi que l’accomplissement de ses formations obligatoires ;
  • Les perspectives d’évolution professionnelle du fonctionnaire en termes de carrière et de mobilité.

Les perspectives d’avancement du fonctionnaire au grade supérieur peuvent également être abordées au cours de l’entretien.

L’agent est invité à formuler, au cours de cet entretien, ses observations et propositions sur l’évolution du poste et le fonctionnement du service.

Des finalités « partagées »

Pour le manager, l’entretien professionnel est l’occasion de resituer l’action de chacun de ses collaborateurs dans le cadre de l’activité du service, d’identifier leur contribution individuelle à l’atteinte des objectifs collectifs et d’établir un diagnostic partagé des difficultés rencontrées ou des lacunes constatées afin de leur apporter des réponses adaptées.

Ce moment d’échange et de dialogue doit également permettre d’envisager des perspectives d’évolution professionnelle, aussi bien en termes de déroulement de carrière que d’évolution de poste, de compétences et de mobilité.

Pour l’agent, l’entretien professionnel ne doit pas se réduire à une appréciation unilatérale de ses compétences. Il doit être acteur à part entière du bilan réalisé sur l’année écoulée et participer activement à l’analyse qui en est faite en donnant son point de vue et en faisant part des obstacles ou difficultés éventuellement rencontrés.

Il doit également utiliser ce moment pour exprimer ses souhaits d’évolution, de mobilité et faire part de ses projets professionnels s’il en a.

Pour la collectivité, l’entretien professionnel doit permettre de recueillir des informations, tant sur les besoins de formation exprimés par les managers et leurs collaborateurs qui contribueront à l’élaboration du plan de formation, que sur les souhaits et aspirations des agents.

Il peut également fournir des éléments d’appréciation qui permettront de prendre des décisions relatives aux avancements de grade et promotions et/ou au montant de primes et indemnités lorsqu’un lien est établi entre l’entretien professionnel et le régime indemnitaire.

On a fait observer, lors de l’instauration de l’entretien professionnel, qu’au-delà de l’évolution symbolique liée au fait que le terme « évaluation » ne figurait plus dans son intitulé, cet entretien s’inscrivait dans deux logiques complémentaires. D’une part, sortir d’une approche essentiellement statutaire orientée vers le « jugement », voire la « sanction » et ayant pour principale finalité une décision de l’autorité territoriale quant au déroulement de carrière de l’agent. D’autre part, favoriser et développer une démarche managériale d’accompagnement, d’information, de conseil et d’orientation pour permettre aux agents de se projeter dans l’avenir et d’identifier des perspectives d’évolution professionnelle.

Dans la réalité est-ce bien toujours le cas ?

Entretien professionnel et entretien d’évaluation : quelles différences ?

Dans le secteur privé les deux entretiens coexistent et sont clairement distincts

L’entretien d’évaluation (qui ne revêt pas de caractère strictement obligatoire), doit permettre de faire le bilan de l’année écoulée (missions et activités réalisées au regard des objectifs fixés, difficultés rencontrées, points à améliorer, etc.) et de fixer les objectifs professionnels et les moyens à mettre en œuvre pour l’année à venir.

L’entretien professionnel, lui s’impose aux employeurs qui doivent organiser cet entretien tous les deux ans. C’est l’occasion pour le salarié de parler de l’évolution de sa carrière et de ses perspectives d’évolution au sein de l’entreprise, et d’identifier avec son employeur les formations pouvant lui être utiles*.

Le Code du travail prévoit également qu’un entretien professionnel de bilan doit avoir lieu tous les 6 ans. Ce dernier doit permettre de réaliser « un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié » afin d’apprécier s’il a suivi une formation, a acquis une certification, et a bénéficié d’une progression dans sa carrière.

Une distinction plus difficile à faire dans le secteur public

Dans la fonction publique aussi, il a été question un temps de distinguer l’entretien d’évaluation d’un autre entretien plus axé sur l’étude des perspectives d’évolution des agents.

Le protocole d’accord relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie en date du 21 novembre 2006* qui a préfiguré la réforme du même nom et donné lieu à la loi n°2007-209 du 19 février 2007, préconisait en effet l’instauration d’un entretien de formation.

Ce dernier devait permettre « d’accompagner l’agent dans le cadre d’un projet d’évolution professionnelle tout au long de sa carrière ».

L’entretien de formation devait avoir pour objet :

– de rappeler les suites données aux actions de formation demandées par l’agent lors du précédent entretien et le bilan qui pouvait en être dressé ;

– de déterminer, notamment sur ces bases, les actions de formation nécessaires pour le nouvel exercice au vu :

– des missions et des objectifs assignés à l’agent ;

– des évolutions probables de l’emploi ;

– des perspectives professionnelles de l’agent ;

– d’examiner les souhaits personnels de l’agent, en particulier ses demandes de préparation aux concours, de validation des acquis de l’expérience, d’entretien de carrière, de bilan de carrière, de bilan de compétences et, le cas échéant, de période de professionnalisation.

Entretien d’évaluation et entretien professionnel ont en fin de compte été fusionnés et ont donné lieu à l’entretien professionnel en vigueur depuis 2015.

Pourtant, dans la pratique et au vu des supports le plus souvent utilisés par les collectivités, on peut s’interroger sur l’équilibre entre les 2 volets de l’entretien professionnel (évaluation et perspectives d’évolution/formation).

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce constat et ouvrent la voie à des réflexions sur des pistes d’amélioration.

Comment faire évoluer l’entretien professionnel et ne pas le réduire à la seule « évaluation de la valeur professionnelle » de l’agent ?

Quelques raisons qui peuvent expliquer que le volet « perspectives d’évolution » n’est pas plus développé dans l’entretien professionnel :

  • Une connaissance insuffisante par les agents et les managers des métiers et postes existant au sein de la collectivité et de leur contenu en termes d’activités et de compétences requises. Cela ne permet pas aux agents de se situer et de s’imaginer des perspectives d’évolution ni aux managers de les orienter et de les conseiller comme il peut le leur être demandé.
  • Un manque de visibilité sur les perspectives d’évolution des services et leurs impacts sur les agents.
  • Des difficultés à identifier les besoins de compétences. On passe trop souvent du constat d’un problème de « performance » à la conclusion de la nécessité de mettre en place une action de formation…pas toujours adaptée.
  • Des difficultés à évaluer les effets des formations suivies. C’est la conséquence du point précédent : dès lors que les besoins de compétences n’ont pas été suffisamment précisés en amont, l’évaluation des effets des formations suivies est très difficile.
  • Une certaine lassitude des agents et des managers à l’égard de l’entretien professionnel. L’impression de répéter tous les ans la même chose et le sentiment que les remarques, demandes et souhaits d’évolution ne sont jamais pris en compte contribuent à cette lassitude, voire à une décrédibilisation de l’entretien professionnel.

Au-delà du fait que pour certains agents (et managers) absence de réponse favorable est synonyme d’absence de réponse tout court, il reste que l’exploitation des comptes-rendus d’entretien est très lourde et ne permet pas toujours aux directions des ressources humaines de traiter les questions, demandes et souhaits formulés comme elles le devraient et comme le souhaiteraient.

Des pistes d’amélioration

  • Développer la connaissance sur les emplois et les compétences représentés au sein de la collectivité. Cette connaissance partagée peut stimuler les réflexions sur les évolutions professionnelles, encourager à la mobilité et ainsi entretenir et développer la motivation des agents.
  • Identifier les proximités entre métiers et entre postes pour mettre en lumière des passerelles et aires de mobilité.
  • Développer une approche plus fine et plus transversale de la notion de compétence permettant de gérer les mobilités ainsi que les actions et parcours de formation nécessaires à leur accompagnement.
  • Initier ou développer une démarche de GPEEC pour être en capacité d’identifier et d’anticiper les besoins de la collectivité en matière d’emplois et compétences. Cette visibilité pourrait permettre de concilier ces besoins avec les souhaits des agents et ainsi de passer d’une gestion de la mobilité à un pilotage de la mobilité.
  • Améliorer l’exploitation et le traitement des comptes-rendus d’entretiens en automatisant leur traitement et en dématérialisant l’entretien professionnel.

La plupart de ces pistes d’amélioration peuvent être mises en œuvre dans le cadre d’une démarche métiers et compétences, première étape de la GPEEC (un article sera prochainement consacré à ce thème).

L’entretien professionnel a souvent été présenté comme un acte managérial de gestion des ressources humaines devant contribuer à alimenter la réflexion de la collectivité sur la GPEEC. Mais il semble que si rien n’est fait en amont pour assurer cette visibilité à court et moyen termes sur les compétences détenues et leurs perspectives d’évolution, l’entretien professionnel peut difficilement jouer ce rôle.

La conséquence est qu’il se réduit trop souvent à l’évaluation qui, bien que nécessaire, est insuffisante pour donner tout son sens à l’entretien professionnel.

Je précise que le parallèle fait avec le secteur privé n’avait pas pour objectif de prétendre que les entreprises du privé font mieux que les administrations mais d’illustrer l’esprit de l’évolution de l’entretien d’évaluation en entretien professionnel. Je pense au contraire que ces entreprises rencontrent les mêmes difficultés et pour les mêmes raisons.

Par ailleurs, les premiers entretiens de bilan qui devaient être menés en 2020 ont été reportés pour cause de Covid-19. Difficile donc de faire un bilan de ce dispositif.

* L’entretien professionnel : cadre juridique et évolutions à venir (Flash RH 30/11/2020)

* Article L6315-1 du Code du travail

* Protocole d’accord relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie  du 21 novembre 2006